Le stock: un élément stratégique pour un domaine viticole

Partager sur :
Le stock: un élément stratégique pour un domaine viticole

 

 

 

 

 

Qu’entend-on par « stocks » ?

Les domaines viticoles ont toujours des stocks importants : par rapport à d’autres secteurs économiques ou agricole. Ce terme de stocks est parfois mal interprété par un repreneur, comme étant de la marchandise disponible « en trop » par sécurité ou du fait d’un historique. Or dans le monde viticole, ce terme de stocks correspond plutôt aux actifs circulants nécessaires au cycle de production et de commercialisation des vins ! Ainsi le stock d’un domaine comprend à la fois :

  • les stocks d’approvisionnements et de matières premières : carburant, bouteilles, produits de traitements…). Ces montants sont souvent faibles, car le domaine peut travailler quasiment à flux tendus.
  • Les stocks de marchandises lorsqu’une activité d’achat et revente est présente : les produits revendus à la clientèle tels que des tire-bouchons, des pots de miels, des accessoires, etc. Cette activité est alors accessoire au domaine, limitée et règlementée.
  • les avances aux cultures : l’ensemble des coûts d’entretien d’un vignoble pour lever la prochaine récolte constitue un stock immatériel à financer quoi qu’il arrive. Cette partie du stock peut être assez conséquente : les 10 000€/hectares peuvent être dépassés, surtout s’il a fallu une lutte contre le gel, une part importante de travaux salariés ou des opérations manuelles visant à une grande qualité de récolte. Ce montant d’avances aux cultures augmente dans le temps, de la récolte de l’année passée à la récolte de l’année suivante. Ce stock est transformé en vin au moment de la récolte.
  • Le stock en vin, qui est alimenté par une seule récolte annuelle, comprend lui-même plusieurs stades: des vins en cours de fermentation, des vins en cours d’élevage, et des vins en cours de commercialisation. L’élevage peut être une période assez longue, non en raison d’une mévente, mais en raison de contraintes réglementaires (un cru de Muscadet devra rester un minimum 18 mois en vrac sur ses lies, un Crémant de Loire devra rester en bouteille sur latte 9 mois après vinification…) ou par choix technique du vigneron afin d’élever ses vins. La durée de commercialisation d’une cuvée est le plus souvent d’un an… mais les circonstances ou le choix du vigneron peut faire varier cela. Une cuvée de petit volume peut être disponible seulement quelques semaines au domaine, parfois les vignerons décident de vendre plusieurs millésimes du même vin afin de donner le choix au client.

Des vases communicantes pour un niveau stable

Ces différents stades évoqués ci-avant sont liés. Les stocks d’approvisionnements sont utilisés pour les avances aux cultures et les stocks de vin. Les avances aux cultures deviennent du vin en cours de vinification, puis des vins en cours d’élevage avant de passer dans le stock en cours de commercialisation. Ce cycle prend au minimum 18 mois, ainsi il n’est pas possible de trouver un domaine qui n’ait pas de stock, quel que soit le moment de l’année à laquelle une transaction est envisagée. Au contraire, pour perpétuer le fonctionnement d’un domaine, un montant de stocks correspondant à 18 mois est habituel…

Tandis que les stocks de vin baissent au fur et à mesure des ventes, le stock d’avances aux cultures augmente. En effet, une partie du chiffre d’affaires est réutilisé par le viticulteur pour financer ses charges… dont le travail à la cave et au vignoble, l’autre partie du chiffre d’affaires étant mobilisé pour les charges de structures et le revenu du vigneron. Une bonne partie du stock n’est pas convertissable en chiffres d’affaires immédiatement. Par exemple des vracs en cours de vinification en septembre ne seront pas commercialisables avant l’année suivante ! Les vins « primeurs » type Beaujolais Nouveau, permettent de gagner quelques mois… mais cela ne représente qu’un style de vin... et il aura de toute façon fallu financer les avances aux cultures. Ainsi, un stock équilibré entre ces différentes formes de stocks est important afin de ne pas avoir de rupture commerciale à venir.

Certains éléments de stocks sont assez peu flexibles : les avances aux cultures, où les approvisionnements ne peuvent pas vraiment faire l’objet de choix de gestion impactant. En revanche, le vigneron peut décider d’augmenter ses volumes de vins en cours d’élevage ou de commercialisation en diminuant ses ventes pendant une certaine durée. Cela peut avoir pour pour objectif de créer une nouvelle cuvée, de rechercher un élevage différent ou simplement de disposer d’un volume de sécurité. En revanche cette augmentation de stock va imposer de porter de la trésorerie et augmenter le bilan du domaine. A contrario, un vigneron peut baisser ses niveaux de stocks en vendant plus de vins en vrac ou en vendant de la récolte sur pieds. Quoiqu’il en soit, il faudra toujours garder à l’esprit que les vente de demain sont les stocks d’aujourd’hui : les niveaux de volumes vendus sont dépendants des vins disponibles à la vente, après élevage, vinification, travaux à la vignes…

Suivant le style de vignoble, les niveaux de stocks seront différents : un vigneron vendant en vrac suivant la récolte aura forcément moins de stocks qu’un vigneron vendant des cuvées élevées en barriques ou produisant des vins de fines bulles conservées 24 mois dans ses caves avant d’être mises sur le marché. Généralement le point commun des domaines est de ne pas conserver de stocks inutilement : il y a peu d’entreprises qui conservent des invendus, et les vignobles n’échappent pas à cette règle...Cela est d’autant plus vrai que les petites récoltes ont incité à utiliser tous les volumes disponibles ! Aussi l’inquiétude autour de vins qui seraient difficile à revendre au moment d’une reprise est-elle souvent disproportionnée par rapport au volumes concernés. Cela n’empêche pas d’être vigilant en se faisant assister de l’agence au moment d’appréhender et de valoriser ce stock.

Les conséquences du gel et autres accidents

La viticulture est sujette à la nature… et donc aux accidents climatiques. Gel, grêle, sècheresse, etc, peuvent avoir un impact sur les volumes et qualités récoltées. Un accident climatique n’impactera pas les volumes présents en cave : uniquement la récolte à venir. C’est ainsi que certains vignerons ont pu choisir de constituer des stocks importants afin qu’une partie plus petite de leur stock (et de leur chiffre d’affaires) soit exposée au risque agricole. Lorsque le stock en cave permet de fournir la clientèle pendant 2 années, un domaine peut se permettre de faire l’impasse sur une années sans baisse de chiffres d’affaires. Sans aller jusqu’à des situations aussi extrêmes, la constitution d’un stock un peu plus important que nécessaire peut permettre de faire la jonction sur le plan commercial lorsque la petite récolte issue d’une vendange gelée est insuffisante pour fournir ses marchés pendant 12 mois… De plus l’effet d’une petite récolte ne se retrouvera sur la disponibilité en vin qu’après vinification et élevage de ladite récolte : la tension sur le stock est alors décalée dans le temps.

En termes de gestion comptable, le fonctionnement n’est pas aussi simple. Si l’on travaille le coût de production (réel normal, impôt sur les sociétés), la valeur d’une récolte est le plus souvent assimilée à la valeur des avances aux cultures qui ont été nécessaires pour lever cette récolte... quel que soit le volume récolté. Ainsi la valeur entrée en cave étant la même pour un volume moindre, chaque bouteille aura coûté plus cher à produire, indépendamment de son prix de vente. La perte ne sera donc comptabilisée qu’au moment de la vente du vin, si les prix n’ont pas été ajustés…. soit 12 à 24 mois après l’accident de culture. Dans le cas du réel simplifié (le régime d’imposition n’est pas l’impôt sur les sociétés mais le bénéfice agricole), l’exploitant peut évaluer ses stocks sur base d’une méthode forfaitaire. Dans cette méthode, la baisse des volumes récoltés entraine une baisse de la valeur du stock comptabilisé : une perte est constatée avant la vente du produit via une variation de stock négative. Ce n’est pas avec le manque de marge par bouteille, mais par le manque d’unités vendues que la perte est ensuite définitivement établie. Au final l’approche comptable d’un stock n’est pas le bon outil pour appréhender le devenir d’une société viticole à court et moyen terme.

Les variations de stocks ayant un impact sur les résultats, ils ont également un impact direct sur les impôts et cotisations sociales des exploitants. En cas de baisse -plus ou moins maîtrisée- il n’y a pas de sujet. En cas de hausse de stocks, la variation positive entrainera une hausse de l’Excédents Brut d’Exploitation et une hausse des Résultats Comptables. Cela entraînera des prélèvements, même si les vins n’ont pas encore été vendus. Aussi les exploitations qui grandissent doivent-elles anticiper une hausse de ces prélèvements qui interviendra avant la hausse du chiffre d’affaires… et cela s’applique aussi bien aux hausses de surfaces qu’aux augmentations de stocks afin de se sécuriser face aux accidents climatiques ou la création d’une cuvée élevée sur une durée plus longue. Aussi les projets qui prévoient des reprises avec des surfaces petites ou des stocks faibles doivent-ils anticiper ces coûts.

Au final, le fait de prévoir à chaque étape de la production, des niveaux de stocks suffisants et de qualité permet de planifier ses disponibilités en vin, et donc son chiffre d’affaires. La reprise d’un domaine avec un stock important ne doit pas faire peur ou être exclue de prime abord: c’est la reprise d’une situation le plus souvent solide. Avec ces vins, le repreneur pourra continuer les ventes avec la clientèle existante en attendant de développer la sienne, et bénéficier d’une situation où il n’aura pas à augmenter ses niveaux de stocks régulièrement pour se sécuriser ou créer des cuvées élevées ou de fines bulles.

Le stock : un point délicat lors d’une reprise

L’expérience nous montre que le stock est un sujet de discussion lors des reprises de domaines viticoles. Certains porteurs de projets, souvent dirigeants ou gestionnaires, tentent de se sécuriser en abordant leur projet par des lectures de bilans. Comme nous l’avons vu au-dessus, ce n’est pas une clé de lecture, surtout que la majorité des plaquettes comptables ne détaillent pas les prix unitaires retenus… Cela dans un secteur d’activités où les valorisations ne sont pas réglementées ou standardisées avec de forts écarts. Au mieux la permanence des méthodes comptable montrera que le domaine est en croisière mais ne permettra pas de connaître les volumes des différents stades de stocks.

L’approche des bilans sous-tend le plus souvent la recherche d’une rentabilité. Mais ce cycle de stocks en cours de production qui dure plus d’un an entraîne fatalement un stock important. Le ratio de rentabilité est affaibli par rapport à de nombreux autre pans de l’économie où les cycles d’achat-revente ou de transformation sont beaucoup plus courts. Les valeurs économiques des domaines sont donc en retrait et peu de projet ainsi démarré aboutissent à une offre acceptée.

Au moment de choisir un domaine, les vins produits doivent être dégustés. Le repreneur peut ainsi se faire une idée du potentiel du domaine dont il reprendra également les stocks en cours de production. Les DRM (Déclarations Récapitulatives Mensuelles) permettent de suivre les volumes de vins présents sur les domaines dans l’année… mais pas de connaître les millésimes présents, ou les cuvées auxquels les volumes seront affectés. L’art et la liberté de faires des assemblages pour ses cuvées fait partie de l’intérêt du métier des vignerons : s’il est compliqué d’établir un état des lieux, il est souvent impossible de prédire l’avenir en termes de stocks futures ! C’est au fil des discussions que le repreneur appréhendera la gestion des stocks du domaine au quotidien… car les domaines n’ont habituellement pas de suivi exploitable.

Un vigneron qui met son domaine en vente ne sait jamais si son projet va aboutir, ou quand il va aboutir. Aussi sa stratégie de gestion de stocks prend le plus souvent 2 formes : le statu quo ou la réduction. Dans le statu quo, il s’agit de vignerons ayant peu de stocks, et généralement pas de mauvais vins, et ils continuent leurs pratiques en attendant la vente. Ceux qui décident de réduire sont des vignerons bénéficiant de stocks importants (plusieurs années de vins), accumulés tout au long d’une carrière qui leur permet de proposer de vieux vins ou de faire une impasse sur un millésime si besoin… Or ce sujet est abordé rapidement au moment d’une préparation à la mise en vente. Il est souvent conseillé de réduire le niveau de stock afin de proportionner la valeur de vente de l’entreprise par rapport à la surfaces exploitée… Dans ce cadre, les volumes sur lesquels il y a un risque qualitatif qui pourraient remettre en cause toute la vente du domaine (et les relations de confiance avec les repreneurs) sont rapidement apurés par les vignerons. Ainsi il y a peu de volumes de stocks posant réellement problème… Pour autant la vigilance est toujours de mise : garder la faculté de déguster les stocks au moment de la vente définitive est normal.

Au final, se faire assister d’un tiers pour valoriser les stocks lors de la reprise d’un domaine est facilitant pour le vigneron et le repreneur. Une agence recherchant à la fois à établir une situation lisible pour un acquéreur et une valorisation équilibrée entre les parties est souvent un précieux appui. Elle sera également présente pour arbitrer au jour de l’inventaire.

 

Alain Paineau, octobre 2022